« Nous tenons à l'objectif, mais la compensation immédiate peut bloquer des projets, elle pourra donc se faire dans un délai raisonnable », a annoncé Bruno Le Maire, le 24 avril à l'occasion de la présentation du plan de simplification de la vie des entreprises.
Pour cela, le ministre de l'Économie a introduit dans le projet de loi éponyme (1) , présenté le même jour en Conseil des ministres, un article 18 qui vient assouplir certaines dispositions introduites dans le code de l'environnement (2) par la loi de reconquête de la biodiversité du 8 août 2016. Selon ces dernières, les mesures de compensation visent « un objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes ».
« Cause de retards importants »
Pour Bercy, cette dernière exigence, qui signifie que les mesures de compensation doivent déjà être mises en œuvre au moment où les travaux démarrent, peut entraîner des retards importants dans la réalisation des projets. À cet égard, Bruno Le Maire cite l'exemple du port du Havre, et de manière générale l'ensemble des zones portuaires, jugées stratégiques pour la réindustrialisation par leur connexion aux flux logistiques mondiaux, où des projets seraient bloqués pour cette raison.
« Les mesures de compensation des zones humides requièrent en effet des délais d'opérationnalisation significatifs, alors même que la faisabilité des mesures est assurée. De tels retards sont susceptibles d'entraîner un coût économique important pour les porteurs et, de ce fait, impactent la réalisation des projets et l'attractivité française », explique l'étude d'impact du projet de loi.
L'objectif poursuivi, ajoute-t-elle, est celui, hors recours à un site naturel de compensation, de restauration ou de renaturation (SNCRR), « d'un démarrage plus rapide des projets dans le cas où la mise en place préalable de mesures de compensation des atteintes à la biodiversité, après vérification de leur caractère compensable, s'avère complexe en termes de disponibilité ou de maîtrise foncière et longue à mettre en œuvre (…) ».
« Compenser les pertes intermédiaires dans un délai raisonnable »
Aussi, le projet de loi prévoit-il de remplacer les dispositions existantes par les suivantes : « [Les mesures de compensation] visent à éviter les pertes nettes de biodiversité pendant toute la durée des atteintes, ou, à défaut, à compenser les éventuelles pertes nettes intermédiaires dans un délai raisonnable, en visant à terme un objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. »
« La mise en œuvre de la notion de "délai raisonnable" pourrait être définie par voie d'instruction aux services », veut rassurer le ministère de l'Économie, qui annonce également un décret d'application. « En tout état de cause, ajoute-t-il, le plan de compensation aura été validé avant le début des travaux, étant attaché à l'autorisation administrative nécessaire à leur lancement ».
Bercy se défend, via l'étude d'impact du projet de loi, de toute régression du droit de l'environnement en s'appuyant sur une décision du Conseil d'État du 27 mars 2023. Il se repose aussi sur l'avis favorable (tacite) reçu du Conseil national d'évaluation des normes le 11 avril 2024. Le Conseil d'État n'a pas non plus émis d'observation particulière sur ces dispositions dans l'avis (3) qu'il a rendu le 22 avril. Le Palais-Royal a en revanche regretté « le bref délai dont il a disposé pour examiner ce projet de loi, alors que l'urgence qui s'attache à l'adoption des mesures proposées n'est pas avérée ».
Il reste que la disparition de l'obligation de résultat et l'imprécision de la notion de « délai raisonnable » semblent enlever de la loi les garanties nécessaires à l'effectivité de la mise en œuvre des mesures de compensation.
« Recul clair et annoncé »
« Ça arrive six mois après la loi Industrie verte, dont le seul pan un peu écologique était la question de la compensation », réagit Nicolas Oddo, chef de projet au pôle nature de France Nature Environnement (FNE).
Le SNCRR, mis en place par cette loi pour prendre le relai des sites naturels de compensation (SNC), est un outil d'anticipation des mesures de compensation. « [Il] permet à un aménageur de recourir à des actions de restauration préalablement réalisées pour justifier de la bonne réalisation de ses obligations de compensation avant de commencer ses travaux », rappelle d'ailleurs l'étude d'impact. Deux projets d'agrément de sites sont en cours d'instruction.
« Même si les SNCRR ne sont pas idéaux, car on met beaucoup l'accent sur la compensation et que c'est la fin de la séquence ERC, le schéma est intéressant parce que l'on compense à l'avance, et l'acteur finance ses actions de renaturation en vendant des unités de compensation. Au moment de la vente, la compensation est déjà à l'œuvre et on peut déjà mesurer les résultats », explique Nicolas Oddo.
Avec le projet de loi de simplification, c'est « un recul clair et annoncé », estime le représentant associatif. « Le projet supprime l'obligation de résultat et introduit des délais. On enlève à la fois la temporalité et l'efficacité de la mesure », explique-t-il.
En parallèle, les ministres de l'Agriculture et de la Transition écologique ont lancé une mission pour étudier les possibilités d'un changement de logique de la compensation, en vue de passer d'une compensation surfacique à une compensation fonctionnelle. Mission qui s'accompagne d'un groupe de travail sur la compensation dans le cadre de la séquence ERC.
Il reste à voir si les différents ministères s'accordent sur les réformes à mener en la matière et quelle lecture en feront les parlementaires. Les sénateurs seront les premiers à s'exprimer puisqu'ils débutent l'examen du projet de loi en séance publique le 3 juin prochain.