À ce jour, la détection dans l'eau des PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées, dites polluants éternels) consiste le plus souvent à effectuer des prélèvements et à les envoyer à des laboratoires spécialisés qui mettent plusieurs jours à effectuer leurs analyses et à renvoyer leurs résultats. Cette logistique requiert du temps et de l'argent, à raison de plusieurs centaines d'euros par mesure – si bien qu'elle « en diminue l'efficacité », estime Vincent Bouchiat, cofondateur et président de Grapheal, petite société iséroise qui entend contribuer à l'accélération de cette détection… en en diminuant le coût !
Pour réaliser ce tour de force, l'entreprise Grapheal, créée en 2019 en essaimage du CNRS de Grenoble, s'appuie sur l'expertise développée dans la fabrication de (bio)capteurs numériques intégrés, flexibles et portables. Cette expertise repose elle-même sur deux piliers : d'une part, l'utilisation d'un matériau innovant (graphène en monocouche sur polymère) qui interagit avec les substances recherchées, et d'autre part, l'utilisation d'électronique embarquée.
L'utilisation du graphène dans les capteurs n'est pas foncièrement nouvelle : des sociétés comme GrapheneDX ou Paragraf produisent par exemple des capteurs à partir de graphène posé sur un substrat de silicium, pour des usages dans le secteur médical. « Chez Grapheal, nous utilisons une base en polymère, dont les coûts de fabrication sont dix fois moins élevés, explique Vincent Bouchiat. Sans compter que le polymère apporte beaucoup plus de flexibilité : cette base rend le capteur souple, permet de réaliser des patchs, ou des impressions. »
Une technologie brevetée
La surface du graphène, utilisé en monofeuille atomiquement fine, est fonctionnalisée par des sondes qui vont interagir avec une cible spécifique. L'interaction se traduit par la capture de la molécule cible, dont l'accroche va générer une modification de la surface qui va à son tour modifier la conductivité du dispositif. « C'est-à-dire que la valeur de la résistance électrique dans la couche carbonée va varier en présence du composé », explique le président de Grapheal. Les électrodes imprimées détectent ce changement de conductivité et le traduisent en un signal électrique analogique. Ce dernier est numérisé et stocké grâce à un système sur puce (SoC, pour System on a Chip), lui-même alimenté en énergie grâce à une antenne.
Protégée par une vingtaine de brevets internationaux, cette technologie a donné naissance à un procédé industriel « optimisé pour le passage à l'échelle », annonce la jeune pousse qui compte à ce jour une petite dizaine de collaborateurs – « une équipe entièrement R&D, avec des profils scientifiques et très techniques », ajoute Vincent Bouchiat, lui-même chercheur.
Une levée de fonds pour passer à l'échelle industrielle
De la synthèse du graphène à l'intégration complète des dispositifs numériques, en passant par la connectivité sans fil, l'acquisition et l'analyse des données… « Nous maîtrisons toute la chaîne de valeur », précise le patron de Grapheal, qui travaille depuis plus de dix ans sur ces matériaux fonctionnalisés. Les cas d'usage sont très nombreux, et portent sur des domaines variés, dont la santé humaine, le secteur vétérinaire… « On les a adaptés avec une chimie spécifique pour capturer un certain type de PFAS » – en l'occurrence, l'une des molécules les plus communes de cette famille, qui en compte environ 12 000, à savoir le PFOA (acide perfluorooctanoïque).
L'intérêt économique de ce dispositif réside également dans son coût de fabrication : « Moins de dix euros par unité, affirme le président de Grapheal, qui comprend une plateforme électronique, des bandelettes de tests électroniques avec quatre ou cinq capteurs qui peuvent être mis sur la même carte. »
À ce jour, Grapheal produit quotidiennement une centaine de capteurs pour une utilisation en propre – quelques unités sont vendues pour tests à des sociétés d'analyse. Cette production est aujourd'hui hébergée par des incubateurs : le CNRS de Grenoble et l'hôtel à start-up Biopolis, en face du CHU situé à La Tronche. L'étape suivante serait de monter une ligne industrielle, qui représenterait le plus gros poste de dépense de la levée de fonds privés de 6 millions d'euros en cours. « Tout d'abord, nous voulons assurer la montée en volume de ce procédé que nous avons déjà dérisqué, mais pour cela nous avons besoin d'un site de production, résume Vincent Bouchiat. Couplée à des aides à l'innovation et à la réindustrialisation, cette levée de fonds nous permettra d'avoir une nouvelle usine, de financer l'achat de machines et de lancer ces capteurs à l'échelle commerciale. » Avec à la clé des recrutements qui devraient faire passer les effectifs à 23 personnes.