La gestion de la crise agricole a joué le rôle d'un détonateur pour une partie du secteur de la santé. Le constat ? Trop peu de politiques sont mises en œuvre pour protéger les citoyens contre les expositions aux polluants, notamment les pesticides. Des médecins et des mutuelles interpellent donc le Gouvernement pour que la situation évolue.
« Les mesures prises en réponse à la crise agricole : un coup d'arrêt à la réduction de l'usage des pesticides, la satisfaction des désirs de l'agriculture la plus productiviste sur fond de déni des connaissances scientifiques en opposition totale au concept Une santé, a regretté Pierre-Michel Perninaud, président de l'association « Alerte des médecins sur les pesticides » (ALMP), à l'occasion d'une conférence de presse, jeudi 28 mars.
L'association déplore notamment que les résultats de quatre travaux d'instituts reconnus ne soient pas pris en compte dans les orientations politiques. Parmi eux, l'exercice de prospective de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), qui propose trois scénarios pour passer à une « agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050 ». Autre étude mise en avant par l'ALMP : celle de l'Inrae et de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) sur les conséquences des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques. « L'étude montre un lien entre le déclin constaté des invertébrés et des oiseaux, a pointé Rémy Mazurier, médecin et membre de l'association. Dans les écosystèmes terrestres, les plus touchés sont les papillons, les abeilles, les bourdons, les fourmis, les coccinelles et les carabes. » Parmi les pesticides incriminés : les pyréthrinoïdes et les néonicotinoïdes. « Une des conclusions de l'étude est que la réglementation ne peut pas prendre en compte la complexité des effets sur l'environnement et l'homme », a souligné Rémy Mazurier.
Des conséquences sanitaires de l'exposition
La troisième étude est l'actualisation de l'expertise de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les pesticides et la santé. Celle-ci établit des liens entre l'exposition des professionnels aux pesticides et le développement de 13 pathologies, dont le cancer de la prostate ou du sein mais également des pathologies comme la maladie d'Alzheimer. Des présomptions sont également établies pour les enfants des professionnels exposés et visent des tumeurs cérébrales, des leucémies et des malformations congénitales. La population générale est également concernée avec des liens entre le cancer de la prostate et une exposition au chlordécone par exemple. « Une étude Géocap agri a montré une augmentation du risque de leucémies et de tumeurs neuro-embryonnaires de 5 à 10 % pour chaque augmentation de la densité de vigne de 10 % dans un rayon d'un kilomètre autour du domicile de l'enfant », a détaillé Rémy Mazurier. Par ailleurs, certains pesticides sont également des perturbateurs endocriniens, avec des liens connus avec des troubles de la fertilité ou métaboliques, des cancers hormono-dépendants, comme celui du sein et de la prostate, et des troubles du développement neuronal.
Cinq leviers d'actions à activer
En tirant cette sonnette d'alarme, l'association cible cinq leviers d'action : elle invite les villes, comme l'a fait Strasbourg, à proposer aux femmes enceintes la fourniture d'un panier de fruits et légumes biologiques et une sensibilisation par un professionnel de santé aux perturbateurs endocriniens. Elle souhaite que soit appliquée une réglementation plus protectrice sur les pesticides. « Une pyréthrinoïde, la cyperméthrine, imprègne 100 % des femmes enceintes et des enfants, a rappelé Pierre-Michel Perninaud. Malgré un lourd dossier, avec une action de perturbation endocrinienne sur l'axe thyroïdien et hypothalamo-pituito-gonadique, son autorisation de mise sur le marché a été renouvelée. »
L'ALMP demande également une plus grande protection des riverains contre la dérive des pesticides. « Le ministère de l'agriculture a imposé une limite et un choix de distance de protection ridicule », a considéré Pierre-Michel Perninaud. L'association propose notamment un recul de 150 à 200 m des distances pour les écoles.
Autre requête : mettre en œuvre les 20 % au minimum d'alimentation bio et 50 % locale dans la restauration collective, un objectif de la loi Egalim aujourd'hui en souffrance. « L'intérêt est sanitaire et social, mais ce serait aussi un levier puissant pour un soutien à l'agriculture biologique, a estimé Pierre-Michel Perninaud. Le projet alimentaire territorial permet de s'affranchir de certaines difficultés liées aux appels d'offres. » Enfin, l'ALMP souhaiterait que les préjudices subis par les professionnels soient mieux reconnus car, aujourd'hui, les maladies professionnelles restent sous-déclarées.
Ces dernières propositions correspondent à celles soutenues pour les pesticides par des mutuelles. En février dernier, quatorze (2) d'entre elles ont interpellé le Premier ministre, Gabriel Attal, pour qu'il agisse pour la prévention et la réparation des préjudices liés à des expositions à des polluants.
« Comment est-il acceptable que trois ans après la mise en œuvre du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, alors qu'a été évalué à 10 000 le nombre de bénéficiaires, seulement 1 000 aujourd'hui en bénéficient, a interrogé Martin Rieussec-Fournier, président de la fondation Santé Environnement de La Mutuelle familiale, lors d'un colloque au Sénat le 5 février. Très peu a été fait pour faire connaître ce fonds. » Elles appellent également à ce que soient appliquée la loi au sujet de l'évaluation de la toxicité des pesticides avant autorisation à la vente.
« Gabriel Attal, vous nous avez proposé un grand bond en arrière en mettant en pause le plan Écophyto – alors que 23 millions de Français ont une ou plusieurs maladies chroniques et un demi-million de Français déclenchent un cancer hormo-dépendant, nous vous proposons un grand bond en avant qui s'appuie sur le scénario de l'Inrae qui propose une France et une Europe 100 % agroécologique », a lancé Martin Rieussec-Fournier.